Ecrire demande l’engagement du corps. C’est un acte, une mise en mouvement de la pensée, la traduction de réflexions et d’intuitions en gestes et décisions.

Ce n’est pas seulement la main qui écrit, c’est le corps tout entier qui s’anime pour aligner de petits caractères sur une feuille blanche. Penché sur le carnet, l’épaule en suspension, l’avant bras en retenue sur la table. L’écriture contient une dimension physique indissociable de l’activité intellectuelle . Lorsque j’écris, je suis en vie, j’engage mon corps et mon esprit tout entier.
Par l’acte de saisir un crayon, puis de positionner mon bras et de l’agiter doucement pour qu’il laisse une trace sur le papier, je manifeste une décision : celle de poser la pensée sur un support autre que mon esprit, la matérialiser. N’est-ce pas subversif ? Prendre le risque de m’exposer ? Celui de revendiquer ? D’assumer ? De comprendre peut-être ?
Dans toute écriture sommeille un rebelle ou un militant, s’engageant corps et âme dans la restitution et l’organisation de pensées complexes. Les intentions de l’écrivain, aussi nombreuses qu’intimes, motivent l’exploration intimidante de fonctionnements inconscients. Ecrire est un projet. Concrétisé à chaque fois. Parfois dans la douleur. Une transformation, une révolution intérieure. Du jaillissement de ma pensée émerge une décision, celle de capter l’instant, de l’écrire en saisissant immédiatement un crayon et une feuille de papier. Ma pensée devient autre… un objet littéraire parfois, une analyse, une trace laissée aux futures générations, un partage, un vers, un cadeau consistant à révéler une partie de moi, y compris dans la rédaction d’une fiction.
De mon esprit complexe, j’extraie alors l’essence, je choisis les mots les plus fidèles à ma pensée, à la mélodie de ma petite voix, au chaos du bruit intérieur, pour restituer une émotion, une énergie, une information. Ce choix, c’est mon corps qui l’exprime simultanément, dans une danse dont je suis l’auteur, à la fois de la chorégraphie et du rythme. Mes doigts, souples et agiles, génies de l’interprétation, mettent en danse et en mots les flots d’intuitions parcourant mon cerveau. Et tout le corps participe à ce ballet.
Ecrire est fondamentalement l’acte d’un artiste. Celui qui laisse danser sa main, œuvrant à la souplesse du corps, pour se consacrer totalement à l’émergence d’une fulgurance.
Ecrire commence dans le corps, c’est la musique du corps, et même si les mots ont un sens, s’ils peuvent parfois en avoir un, c’est dans la musique des mots que commence ce sens
Paul Auster
Artiste militant, révolutionnaire. Voilà ce qu’est la personne qui écrit. Osant explorer, parfois avec vanité, pour simplifier, restituer et mettre en mouvement. C’est l’artiste qui revendique le droit d’exprimer, d’exister dans son art, dans sa différence, sa subtilité. Un cri intérieur, mis en lumière par une chorégraphie, unique, éphémère. Le fond, la forme, indissolubles dans l’acte d’écrire, ne rien garder, acte pur, le don de soi dans une pulsion de vie. La question du public est secondaire. Exprimer, danser, choisir, dire, raconter, explorer, observer, écrire… voilà l’essentiel.
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